4 questions à se poser avant d’interroger son modèle socio-économique
Dans quoi s’engagent les associations de jeunesse et d’éducation populaire qui participent à une recherche-action sur leurs modèles socio-économiques et avec quelle grille d’analyse peuvent-elles envisager cette expérience ? Laurent Gardin, grand témoin des échanges organisés lors de l’assemblée générale du Fonjep le 5 juin 2018, a proposé 4 axes de questionnement susceptibles d’accompagner la réflexion des associations. Synthèse de son intervention.
Laurent Gardin et Nadine Dussert, Juin 2018. (Photo : Vincent Hamez)
Laurent Gardin est Maître de conférences en sociologie à l’Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (UVHC). Responsable pédagogique du Master Développement local et économie solidaire. Chercheur à l’IDP de cette université. Co-président de la Chaire interdisciplinaire et interuniversitaire d’économie sociale et solidaire et soutenabilité du territoire des Hauts-de-France
Quelle posture d’engagement adopter dans une recherche-action ?
Après les présentations faites par les 4 équipes de recherche qui mènent les expérimentations, Laurent Gardin remarque des postures de recherche différentes : « associations chercheurs », « chercheurs engagés », « chercheurs non académiques ». Pour les associations aussi, il est important de s’interroger sur la posture à adopter, sur le changement auquel participer : changement individuel pour les participants à l’expérimentation, changement pour l’organisation, changement plus large au niveau politique dans une logique d’amplification ? Faut-il ériger des modèles en exemple et si oui, lesquels ? Quelle originalité l’éducation populaire peut-elle affirmer et transmettre dans son approche de l’économie ?
À quelle conception de l’économie se réfère la recherche-action ?
Laurent Gardin explique que les équipes de recherche qui se sont exprimées ont des façons différentes d’appréhender l’économie. Pour l’une, l’économie est l’art de mobiliser des moyens (richesses humaines, financement, alliances) au service du projet associatif ; pour une autre il s’agit de produire de la valeur en considérant que le social est un élément qui favorise l’économique ; pour une troisième il faut définir une économie populaire adossée à l’économie informelle ; et enfin pour une dernière il s’agit de proposer un modèle hybride qui articule marché, redistribution et réciprocité.
Il invite les associations à bien décrypter ces approches qui ne sont pas neutres. : « quand on pense avec un marteau on voit des clous partout » dit-il, c’est-à-dire qu’on a tendance à trouver des résultats qui confortent l’approche qu’on est habitué à manier. « Il faut avoir du débat sur ces différentes conceptions de l’économie. Aucun chercheur n’est neutre — je suis moi-même engagé — il est nécessaire d’avoir une définition large pour ne pas se restreindre dans la réflexion ». Pour y aider, il propose de s’inspirer de la complexité des recherches pragmatiques menées par les associations pour résoudre leurs difficultés économiques.
Quelles coopérations expérimenter ?
Laurent Gardin repère trois types de coopération généralement évoqués dans la réflexion sur les modèles socio-économiques : la mutualisation des moyens — convoquée parfois dans l’injonction — ; la coopération dans la mise en place d’activités ou de projets ; la coopération de type plaidoyer pour une action politique. Même si la coopération est prônée, il remarque qu’elle jouxte des dynamiques de concentration qui poussent les associations à grossir plutôt qu’à coopérer. Le risque est selon lui « d’aboutir à une standardisation qui appelle une régulation de type industrielle, antinomique avec une régulation professionnelle, associative, qui se réalise au niveau local ».
Enfin, à propos des coopérations avec le monde de l’entreprise privée lucrative, Laurent Gardin rappelle qu’il s’agit pour ces entreprises de servir une légitimité commerciale et d’image, notamment dans le cadre de la responsabilité sociale d’entreprise. Il pense qu’il y a à terme un risque de déséquilibre entre associations et entreprises, avec une perte d’identité et de légitimité des associations, surtout si les pouvoirs publics ne jouent plus leur rôle de régulateur.
Quelle régulation attendre de l’État ?
Le politique et la vie associative sont intimement liés. Laurent Gardin présente différents modes d’intervention de l’État qui offrent aux associations des marges d’action variables. La régulation tutélaire se caractérise par un État-providence qui ne négocie plus avec les associations sans les évaluer. Sa légitimité l’autorise à décider de ce qui est bien pour les associations et pour le bien commun. On peut aussi retrouver cette forme de régulation au niveau des collectivités ; Le New public management se caractérise par une régulation marchande par appel d’offres et mise en concurrence. La capacité de proposition du monde associatif n’est pas prise en compte ; la régulation négociée et conventionnée se caractérise par le dialogue et la co-construction. Cela ne doit pas masquer les rapports hiérarchiques existants et il faut regarder comment se fait la coconstruction : qui définit la politique, qui met en œuvre, qui évalue ?
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